Une société hygiéniste est une société qui crève à petit feu et finit par mourir

Ce court billet est publié en accord avec l’album d’I AM « Ombre est Lumière » que je n’avais pas écouté depuis des lustres : merci à St0m de me l’avoir repointé du clavier.

La question est de savoir si l’on a une quelconque chance de sortir du « fumier ambiant » dans lequel nous sommes majoritairement tous plongés. Je veux parler de la société française, avec ses polémiques, ses indignations, son inconstance, ses plaintes, ses blocages, sa dépression et au final son incapacité à retrouver un tantinet de joie de vivre, d’esprit festif, d’insouciance et de faire ensemble.

Il semble que non. Et c’est mal barré pour que cette sentence soit contredite. Il y a plusieurs raisons à ça et j’en fais part dans quelques billets basés sur des analyses croisées, politiques, sociales, économiques, médiatiques, culturelles et autres dérives via le numérique, influences diverses et variées, à base de lobbying « citoyen » ou non.

Sauver les fauves ou l’empire du Bien ?

Ce matin il y avait un reportage sur France Inter à propos de l’interdiction en cours des animaux sauvages dans les cirques itinérants. C’était dur ce reportage. Parce que bien entendu, le final de l’histoire c’est que plus aucun cirque ne pourra montrer un seul fauve aux enfants. A la place, les gens de cirque sont en train de monter un « éco-cirque » à base de fauves… projetés en hologrammes. Entièrement conçu et réalisés par ordinateurs. Il faut donc — semble-t-il — applaudir les grands humanistes sauveurs de planète et d’animaux sauvages qui depuis leurs grands bureaux parisiens ont décidé de tuer à la fois, le milieu du cirque, l’imaginaire des enfants, le réel issu du monde animal et toute possibilité d’envisager les interactions homme/nature autrement que par le prisme du bien et du mal, du tolérable et de l’intolérable.

Comme désormais c’est la règle il faudrait adhérer à ces décisions — sans nuances — d’arrêts de l’exploitation des « bêtes ». Tout en ne parlant pas de l’exploitation honteuse des humains dans des entrepôts Amazon et autres entreprises de management par pressions. Sans réfléchir un seul instant à toute la chaîne de possibilités qu’il y aurait pu avoir sur le bien-être ou le mal-être animal dans ces cirques. Parce qu’il est plus simple de caricaturer à l’excès des maltraitances réelles, de les généraliser, pour au final, interdire. Au lieu de chercher à observer, encadrer et réguler. Les 500 à 900 fauves des cirques itinérants ne savent toujours pas où ils vont atterrir, il n’y a des toute manière pas assez de lieux adaptés pour eux en France, mais on s’en fout. Au fond, qu’ils crèvent loin des yeux des enfants tous ces tigres, panthères et autres lions pour donner bonne conscience aux décideurs politiques 2.0 du nouveau monde bien propre, où tout est sous contrôle, bien propre en apparence et surtout parfaitement lisse. Le fond de l’affaire ce n’est pas leur vie aux fauves, c’est l’image que veulent renvoyer d’eux-mêmes tous les fabricants de faux-semblants, les nouveaux représentants de l’église laïque, écologique, néo-humaniste, néo-égalitariste du Bien absolu.

L’hygiénisme est totalitaire, mais tout le monde s’en fout

Mon propos est le suivant : si nous sommes autant tétanisés, pris dans des filets de pensées conformes, d’obligations à ne pas faire ou faire mais avec l’obligation de suivre des obligations morales édictées dans les ministères et relayées par les ONG, associations et médias c’est parce que nous avons laissé se créer une société hygiéniste. Une société humaine à la fois vivante et en progression, en mouvement, est une société qui s’interdit de vouloir régenter les comportements. Ou les idées des individus. C’est une société qui n’est pas hygiéniste. Mais qu’est-ce qu’une société hygiéniste ? C’est simple. C’est une société qui en permanence, via ses dirigeants, établit ce qui est acceptable ou non en termes de comportements, d’expression, de façon de vivre au sein de la société.

L’hygiène est une somme de règles censées permettre la meilleure santé qui soit pour éviter les effets censés être délétères sur la dite santé si on ne les applique pas. A l’échelle d’un individu, l’hygiène est un choix. D’en avoir une bonne, une mauvaise ou de s’en taper totalement. En gros, si vous avez envie de vous défoncer les poumons avec 2 paquets de clopes par jour, boire de l’alcool en paquet de façon quotidienne, ne jamais vous brosser les dents et prendre une douche par mois, rien ne doit normalement pouvoir vous interdire de le faire. A moins que votre comportement ne devienne une nuisance pour les autres, l’hygiène appartient à chacun. La société n’a donc pas — normalement — à venir imposer une hygiène à ses membres. Cet hygiénisme s’est produit jusqu’à aujourd’hui dans des dictatures, des systèmes totalitaires. Comme l’Italie de Mussolini, l’Allemagne nazie, l’URSS de Staline, la Chine de Mao à celle de Xi JinPing. La liste pourrait être allongée avec quelques monarchies/républiques théocratiques du Proche et Moyen-Orient.

Quand tu interdits aux gens de faire des conneries… selon ta propre morale

Aujourd’hui, il est interdit de fumer dans les lieux publics. C’est mal, il paraît que ça tue les autres. Mais par contre rouler avec des gros SUV qui envoient des particules fines cancérigènes de partout dans les rues des villes est parfaitement acceptable. Écouter de la musique trop fort le soir, c’est mal. Les cafés concerts ne peuvent donc plus organiser des concerts à moins d’insonoriser leurs locaux pour des montants que leur activité ne peut pas couvrir. Mais la Culture c’est le Bien, si elle est silencieuse ou sous surveillance des autorités dans des lieux sécurisés. Il faut protéger toute la population, contre elle-même. Contre sa propre connerie. Sa propre défaillance. Sa propre liberté individuelle, ses propres comportements aussi. Quand il fait froid l’hiver, l’État diffuse des messages pour inciter les citoyens à bien se couvrir. L’été il leur explique qu’il faut s’hydrater. Les citoyens sont incités à appeler les autorités s’ils voient un animal domestique seul dans un véhicule sur un parking quand il fait chaud : c’est de la maltraitance animale, le chien pourrait claquer par déshydratation. Il est interdit d’écarter les jambes assis dans le métro, mais seulement si vous êtes un homme. C’est une forme d’agression sexuelle. Sourire un peu trop, siffler ou héler une femme dans la rue aussi est répréhensible. Parfois par la loi.

En moins de 20 ans, « la sécurité est devenue la première des libertés » : la guerre c’est la paix, l’ignorance c’est la force. Arrêtons-nous quelques instants sur l’hygiénisme qui s’est répandu dans la société française pour comprendre ce qu’il a engendré. Très simplement : c’est une société totalitaire. Les « valeurs républicaines » sont désormais une nouvelle morale qui peut, si par malheur vous revendiquez n’en avoir rien à foutre, voire que vous torchez avec — vous pouvez partir en prison. Oui, oui, surtout si par exemple vous préférez assumer que vos valeurs ne sont pas là, mais plutôt ailleurs, comme dans une religion. Parce que la religion c’est mal, aussi. Enfin celle des Arabes. La religion chrétienne on n’en parle pas, puisque c’est le Bien et au fond et l’hygiénisme français assume parfaitement ses racines « judéo-chrétiennes ». Ainsi, une bonne hygiène morale vous interdit de parler des exactions israéliennes à l’encontre des Palestiniens, l’antisémitisme est désormais lié à toute critique envers Israël. Faites bien attention à tout ce que vous pouvez ou non faire, dire, revendiquer en 2021. Quels sont les espaces qui ne sont pas « sous contrôle » ? Que ce soient des espaces physiques ou numériques ? La vitesse sur la route, le port du casque en vélo, le port du foulard, le port de la barbe en collier, l’écoute de certaines musiques, l’adhésion ou non à certaines valeurs, l’opinion sur des grands sujets de société, la nécessité d’adhérer aux valeurs républicaines, d’être athée, d’être un défenseur de la laïcité anti-islam, de vouloir sauver la planète, d’être contre la consommation de viande, contre l’exploitation animale, contre l’industrie, contre le gouvernement tout en le sollicitant en permanence pour prendre en charge encore plus de lois liberticides pour le bien commun selon la morale en vigueur…

Sans aller beaucoup plus loin : c’est mort mes grands…

Toutes les possibilités anciennes de faire du lien et du sens dans notre société étaient liées à la liberté garantie par un État qui refusait de se mêler d’ordre moral. Depuis 1968, disons. Mais désormais, tout cela est fini. L’État et ses sbires sont là pour garantir le bon ordre moral, la bonne hygiène comportemental et mentale. GreenPeace, WWF, France environnement, la Convention citoyenne climat sont là pour faire la police de la pensée : la bonne pensée, la pensée écologique, aseptisée, celle qui sait ce que vous devez ou pouvez faire en termes d’émissions de CO2 et de protection de la « nature ».

Faire la fête, s’amuser, prendre le temps de partager, créer, faire des écarts, des conneries, perdre le contrôle à des moments, décompresser en faisant des « folies » est indispensable pour une société, si elle ne veut pas mourir. Dans une société hygiéniste comme celle de 2021, plus rien de cet ordre n’est acceptable ou autorisé. Le sérieux, l’urgence, la catastrophe, l’insécurité doivent être notre lot quotidien. Parce qu’ils en ont décidé ainsi. Parce que c’est leur projet depuis des années et qu’à force ils sont arrivés à imposer dans les esprits par la loi, leur vision mortifère du monde. Un monde hygiéniste ou chacun doit « faire un effort » en acceptant de ne plus faire aucun écart, d’être conforme aux grandes tendances du moment — forcément bienveillantes —, ou de se plier au consensus établi. Le consensus du régime en place. Un régime qui fait crever tout le monde à petit feu et va faire mourir la société pour en générer une nouvelle, parfaitement totalitaire, sans plus aucune vie. Un grand cimetière social, culturel, gardé par des drones, des flics suréquipés, des caméras intelligentes et peuplé d’individus apeurés, à l’affut des écarts des autres, mesquins, conformistes et sans saveur… Des zombies du nouveau monde bienveillant, conforme et protecteur de tous.