Post-Covid19 : « En marche vers le nouveau monde ! »

La crainte de voir le « monde d’avant l’épidémie » repartir dans ses pires travers est présente dans de nombreux esprits. Les intellectuels français, de « gauche et écologistes », se fendent donc de tribunes et autres édito pour venir appeler de leurs vœux un changement de paradigme sociétal, menant à « un monde meilleur ». En quoi ces visions — particulièrement utopiques ou dystopiques, c’est selon — sont-elles réalistes ou totalement décalées ?

La tribune d’un collectif menée par le photographe Yann-Arthus Bertrand dans le quotidien Le Monde représente l’acmé de la pensée française « écologiste » actuelle. Leurs préconisations pour créer une société meilleure sont les suivantes :

« Repenser sa manière de se déplacer et ne plus prendre l’avion, redécouvrir les transports doux et rouler moins de 2 000 kilomètres par an en voiture ; développer la cuisine végétarienne et se nourrir d’aliments biologiques, locaux et de saison, avec de la viande au maximum deux fois par mois ; réinterroger ses véritables besoins pour limiter les achats neufs au strict minimum ; agir collectivement en portant des actes politiques traduisant ces choix à l’échelle de la société.« 

C’est avec ce type de visions du futur, que ces élites écolo — pour la plupart en CDI dans des institutions étatiques—, établissent comment la société française — et à terme le monde entier — devraient, selon eux, fonctionner. Leur objectif est bien entendu de « sauver la planète » :

Notre objectif : une neutralité carbone effective en 2050 via une décroissance énergétique mondiale perceptible dès 2025. Attendu sans succès depuis des décennies, le miracle technologique ne nous sauvera pas. Nous devons quitter le business as usual synonyme de mort précoce pour des milliards d’êtres humains et d’espèces vivantes. Nous travaillons à bâtir un rapport de force politique pour sortir du productivisme et du consumérisme destructeurs qui structurent le système économique actuel.

Mais pour qui est-il fait, ce monde si désirable où l’on « évite la mort précoce de milliards d’êtres humains » ? Si l’on regarde la France seule, de nombreux problèmes surgissent lorsque l’on tente de transcrire dans le monde réel les fameuses visions futures du collectif… Et puis relier la croissance énergétique avec la mort d’êtres humains est une hérésie totale : c’est au contraire la croissance énergétique qui protège les êtres humains de la mort. Quant aux espèces vivantes, c’est la façon dont nous utilisons l’énergie qui les détruit. Pas la quantité…

Décalage délirant avec la réalité sociale

Pour vivre dans le monde « rural », avec obligation de travailler en ville pour obtenir un salaire me permettant de remplir mon frigidaire, comme la plupart de mes compatriotes des « champs et des forêts », les souhaits de Yann-Arthus Bertrand et sa bande de copains, me semblent un tantinet hallucinants de bêtise et d’ignorance. Ce qui ne manque pas de me questionner sur la capacité des intellectuels français à être hors-sol, comme le sont les décideurs politiques. Explications.

« Repenser sa manière de se se déplacer » n’est pas possible en campagne. Point. Nous sommes tous tributaires de la voiture, un objet précieux qui s’il tombe en panne, nous plonge immédiatement dans un casse-tête épouvantable au point de nous mener à l’exclusion sociale. Ne plus avoir de voiture, c’est ne plus avoir de travail, c’est ne plus pouvoir faire ses courses et c’est s’isoler socialement. Il est donc surprenant d’entendre des personnes qui bénéficient de tous les avantages des grandes villes, dont les transports en commun — la plupart sans besoin de véhicule personnel pour profiter de tous les services indispensables à la vie en société — vouloir imposer à 15 millions de personnes (au moins) de s’exclure de la société.

« Développer la cuisine végétarienne et et se nourrir d’aliments biologiques, locaux et de saison, avec de la viande au maximum deux fois par mois » : mais dans quelle société peut-on imposer un régime alimentaire à une population, à part une société totalitaire ? La question est dans la réponse. Le choix alimentaire de chacun est une liberté, nos amis écolos ont l’air de l’oublier… L’agriculture bio, locale, de saison, et la viande deux fois par mois pose d’autres problèmes : entre vœux pieux — puisque le bio ne peut être développé en local pour nourrir un pays de 67 millions d’habitants — et délire sur la limitation d’une ressource alimentaire à deux fois par mois, nos élites semblent avoir surtout digéré Le Meilleur des Mondes et 1984 comme manuels de gouvernance politique et économique, qu’autre chose. « La limite des achats neufs » vient — comme un cheveu sur la soupe — conclure cette bouillie de totalitarisme vert — qui, pour les populations en difficulté sociale leur met un dernier coup de marteau sur la tête. Si Yann-Arthus Bertrand et ses amis ont pu s’acheter autant d’objets neufs qu’ils le souhaitaient depuis des décennies sans compter, il est un peu malvenu, qu’aujourd’hui, ils veuillent empêcher ceux qui n’ont jamais pu ou aimeraient le faire un peu plus, soient contraints à l’inverse… Mais tout ça suit une logique élitiste bien ancrée.

« Écologistes » post-coloniaux immatures

Le fond de la pensée de ces élites sauveuses de planète est le même que ceux des promoteurs d’une vision post-coloniale du monde : le développement industriel occidental lui a permis de dominer le Sud et de détruire en partie la planète pour ce faire. Mais désormais, l’Occident estime que ces destructions sont mauvaise et veut donc imposer au Sud que son développement ne se fasse plus seulement que sous des conditions imposées… par l’Occident. Et là où Yann Arthus et ses amis (très) bien portants vont encore plus loin, c’est qu’ils voudraient imposer ce modèle de « sous-développement » (énergétique au premier chef) qu’ils ne se sont jamais imposé à eux-même, à tous. En réalité, plus particulièrement aux plus socialement défavorisés. Il n’est pas très compliqué de comprendre que pour un « blanc » ou une « blanche », diplômé, vivant dans une grande ville, aux revenus 3 à 6 fois plus élevés que le revenu moyen français, avec des biens (souvent hérités), très bien nourri et très bien soigné depuis des décennies, il est très simple d’appliquer ces nouvelles règles. Mais que ces mêmes bourgeois veuillent imposer ce régime intenable à tous ceux qui n’ont pas la moitié de leurs moyens pour le faire — et en bavent au quotidien pour simplement payer leurs factures, la cantine de leurs gosses, faire rouler leurs voitures pour aller travailler — est plus proche d’une vision post-coloniale et immature de la société que d’autre chose.

Tout ça en oubliant de préciser que selon les calculs de ces mêmes scientifiques, une diminution de moitié des émissions de CO2 hexagonales françaises permettrait d’obtenir une diminution de la « température mondiale » de 0,001 degré à l’échéance 2100. Si l’on adhère aux théories du GIEC fortement contredites par les données d’observations.

Pour ce qui est de la destruction de la biodiversité, ces mêmes chercheurs devraient quand même se pencher sur le berceau du bio, de l’élevage et chercher à comprendre comment une économie qui s’écroule peut tuer des milliards d’êtres humains, plutôt que par un potentiel réchauffement de 2 ou 3° C en plus de 200 ans. Mais que veulent vraiment ces élites ? Façonner un monde à leur botte, avec lequel ils seront en parfaite adéquation et protégés de ses dangers, ou bien permettre une meilleure gestion des ressources, de la santé humaine et de protection de la biodiversité ? A chacun de se faire un avis. J’ai pour la part le mien…